Les rêves de Bertita

Traduit par Bernard Tornare

Le matin, Bertita et sa maman coupent du bois chez des voisins qui font appel à leurs services. Ce sont généralement des personnes âgées qui se retrouvent seules car tous leurs enfants sont partis au Nord. Bertita, âgée de vingt ans, attache sa fille d’un an sur son dos avec le perraje et la porte ainsi. Ses deux autres enfants, âgés de cinq et sept ans, sont ceux qui s’occupent d’empiler le bois pour ne pas laisser les tas en désordre.

Quand tout va bien, elles parviennent à obtenir un déjeuner inclus dans leur salaire. Quelques tortillas qu’elles trempent dans un bouillon d’herbes, dans une assiette de haricots cuits ou parfois trois tortillas tartinées de chirmol. Lorsque la journée n’est pas aussi favorable, elles attendent de rentrer chez elles pour faire bouillir quelques tortillas froides dans une petite casserole avec de l’eau, quelques gouttes d’huile et quelques grains de sel, puis ils soufflent dessus. Leur économie ne leur permet pas plus que ça.

Les après-midis, Bertita et sa mère défrichent la terre pour la préparer à la plantation. Avec peu d’hommes dans le village, les femmes doivent s’occuper d’élever les enfants et de subvenir à leurs besoins, en veillant à ne pas abandonner la terre. Avec ce qu’elles économisent des revenus de chaque journée de travail, elles se débrouillent pour se procurer de la nourriture. Elles n’ont ni électricité ni eau potable ; certains voisins leur offrent de l’eau pour leurs besoins essentiels, mais partager l’électricité coûte cher, donc elles doivent se contenter d’une lampe à huile pour s’éclairer. Elles vont aux toilettes dans les bois.

À l’heure du petit-déjeuner, tous les enfants sont rassemblés, dix au total, et sont assis par terre autour du polletón. On leur sert des tortillas tostadas préparées sur le comal, qu’ils déchirent en morceaux et qu’ils trempent dans le café servi dans des gobelets en plastique. Il n’y a pas d’autre aliment que ça et un peu d’eau jaune issue des résidus du café qu’ils font bouillir jour après jour jusqu’à ce qu’elle perde sa couleur.

Parfois, les voisins leur donnent quelques épis de maïs pour les aider à faire les tortillas. Ils dorment tous dans une maison faite de planches et de tôle de trois mètres sur quatre. Il n’y a pas de lits, le propriétaire d’une pharmacie leur a donné un tapis usagé qu’il avait dans sa maison, un chauffeur de camion leur a donné une bâche usée et ils ont mis les deux par terre pour que le froid ne les pénètre pas trop. Ils s’entassent comme des sardines en boîte et passent la nuit de cette manière pour supporter le froid autant que possible.

Bertita rêve que ses enfants fréquentent l’école pour qu’ils n’aient pas à errer comme elle, mendiant, frappant aux portes des maisons des habitants à la recherche de travail. Elle souhaite aussi qu’ils ne perdent pas leurs dents aussi rapidement qu’elle, à cause des caries. Car manger ainsi est si difficile, toute chose dure fait très mal aux gencives. Bertita rêve que ses enfants aillent à l’école et ne deviennent pas analphabètes comme sa maman, ses sœurs et elle, afin qu’ils ne soient pas obligés de migrer, d’abandonner leur terre, d’oublier leur langue maternelle mam et de vivre loin des cieux de Todos Santos Cuchumatán.

Mais ce sont là de bien grands rêves, pense-t-elle, alors qu’elle transpire en fendant des morceaux de bois sous le soleil brûlant de midi.

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Ilka Oliva-Corado @ilkaolivacorado

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