Les épis qui sèchent au soleil

Traduit par Bernard Tornare

Chaque fois qu’il le peut, Perfecto raconte à ceux qu’il rencontre sur son chemin qu’il a sa famille aux États-Unis depuis des années et qu’il a arrangé les papiers de tous ses enfants, que même ses petits-enfants sont nés dans « El Norte ». Mais la vérité est différente, la réalité de Perfecto est celle de milliers d’immigrés sans papiers. Il a honte de dire qu’il n’a pas de papiers et la peur de l’expulsion le pousse à mentir constamment sur sa vie dans le pays.

Il a émigré il y a plus de trente ans, encore à l’adolescence. La première nuit dans « El Norte », l’angoisse l’empêchait de dormir. Il était dans un endroit où il ne parlait pas la langue et à des milliers de kilomètres de chez lui, sans aucun membre de sa famille à proximité. Perfecto est parti avec un groupe de jeunes qui ont quitté San Francisco Cajonos un jour pour se lancer à la recherche d’un avenir meilleur pour leur famille de l’autre côté du fleuve Rio Bravo.

Ayant grandi dans un village où les gens font de la culture communautaire, Perfecto a été démoralisé par l’égoïsme et l’individualisme de la vie urbaine. Trente ans plus tard, il se sent étranger à cette société avec laquelle il ne partage absolument rien. Il fait partie des milliers de personnes qui n’ont pas appris la langue parce que tous ses emplois ont été réalisés avec des latinos qui ne parlent pas anglais.

La paranoïa due à la peur de l’expulsion a affecté ses nerfs, c’est pourquoi un jour il a décidé d’inventer une vie différente. Il s’est imaginé avoir ses papiers en règle et pouvoir voyager dans son Oaxaca natal. C’est pourquoi il raconte depuis des années des histoires sur ses voyages de vacances et les affaires qu’il a dans son pays natal. Le soir, lorsque sa journée de travail est terminée, Perfecto rentre à l’appartement qu’il partage avec douze autres hommes. Il s’allonge sur le matelas posé dans le salon et fait tous les efforts possibles pour dormir, mais depuis qu’il a émigré, les nuits sont de plus en plus longues dans le sillage de l’insomnie où se retrouvent les immigrés sans papiers.

La ville, avec son tumulte gigantesque de fêtes et de chaos, se calme un peu seulement lors des froides nuits d’hiver. Tandis que le froid s’infiltre par la fenêtre de l’appartement, Perfecto rêve des montagnes de son village natal, de l’odeur des pins, des épis de maïs qui sèchent et de l’heure du dîner en famille. Seulement pendant les nuits d’hiver, Perfecto redevient un enfant, un enfant qui n’est pas contraint à émigrer.

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Ilka Oliva-Corado @ilkaolivacorado

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