Le travail de Silvestre

Traduit par Amaia Cabranes et Sabine Tinchant Benrahho

Il allume la machine à couper le gazon. Silvestre a l’impression d’être sur un tracteur parce qu’il s’agit d’une tondeuse industrielle. De sa vie, il n’était jamais monté sur une machine comme celle-là, mais aux Etats-Unis il a dû faire des boulots qui n’avaient rien à voir avec le métier de maître boulanger qu’il exerçait dans son Nayarit natal. Il travaille comme jardinier. Il manie une machine industrielle parce qu’il a vingt ans d’expérience. Les nouveaux arrivés doivent soit balayer l’herbe coupée avec des souffleurs portés sur le dos soit couper la pelouse avec des machines manuelles. À la fin de la journée, ils sentent tous l’essence parce que ces appareils ont besoin d’essence ou de gazole.

            Silvestre met ses lunettes afin de protéger ses yeux de tout objet susceptible de voler dans les airs, souvent ce sont des échardes cachées dans le gazon que la machine pulvérise. Là où il habite, on coupe les arbres pour moudre le bois et en faire une sorte de sciure qu’on met aux pieds des plantes. Et au grand étonnement de Silvestre, on la teint même en couleurs. En revanche, dans son village natal, les habitants demandent pardon aux arbres avant de les couper et leur expliquent qu’ils en ont besoin pour avoir des bûches pour le feu. Ils plantent toujours un autre petit arbre pour que la forêt ne s’épuise pas. 

            Silvestre travaille de longues journées qui deviennent interminables en été et il a beau mettre des manches longues et de la crème solaire, il finit invariablement en ayant une insolation, le dos cassé et la peau brûlée par le soleil. Au printemps et en automne, il doit faire face au froid, à la pluie gelée qui tombe comme de la grêle et aux neiges qui s’abattent tout à coup.  Il travaille de lundi à dimanche, il commence avant le lever du soleil et finit quand le soleil s’est déjà caché. Mais toutes les nuits sans exception il appelle son épouse et ses enfants qui sont au Nayarit. Il y rentrera le jour où la maison sera entièrement finie et qu’il aura des économies suffisantes pour y ouvrir une échoppe. 

            Il met ses gants, c’est un jour de bruine. Il a mis deux sweats et une doudoune imperméable. Il commence à couper le gazon, depuis son chaleureux Nayarit lui arrive l’odeur des arbres des nances[1] et des mangues mûres qui tombent l’une après l’autre. Aujourd’hui, c’est le premier mai, Journée Internationale des Travailleurs.


[1] Nance : Fruit de l’arbre américain du même nom (Byrsonima crassifolia). Il est jaune-rougeâtre, un peu plus petit qu’une olive et dégage un fort arôme. Le Mexique en est un des principaux producteurs.

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Ilka Oliva-Corado @ilkaolivacorado

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