Ilka Oliva Corado, Histoire d’une sans-papiers : traversée du désert de Sonora-Arizona

Reseña sobre mi libro de travesía publicada en Francia, por Anna Perraudin. El libro fue editado y publicado por Éditions Nzoi en el 2017. Gracias a Anna por la reseña y a Ediciones Nzoi por publicarlo.


Kinshasa, Éditions Nzoi, 2017Anna Perraudin p. 175-191 Référence(s) :
Ilka Oliva Corado, Histoire d’une sans-papiers : traversée du désert de Sonora-Arizona, Kinshasa, Éditions Nzoi, 2017, 113 p.

Texte intégral

Il a fallu plusieurs années à Ilka Oliva Corado, guatémaltèque, pour « faire la paix avec le souvenir de la traversée » (p. 51) qu’elle a effectuée vers les États-Unis, sans-papiers, en 2007 et trouver les mots pour raconter son épreuve. Publié en espagnol en 2014, sous le titre Historia de una indocumentada: travesía en el desierto de Sonora-Arizona, ce témoignage exceptionnel, à la première personne, est aujourd’hui disponible en français, aux éditions Nzoi, après une première publication en ligne sur le site dial.net.

2Très court, le témoignage d’Ilka est saisissant, en raison de l’intensité des scènes évoquées et de la minutie avec laquelle l’auteure détaille les personnes rencontrées, les lieux traversés, les moyens de transport utilisés et jusqu’au contenu du sac de voyage qu’elle emporte pour seul bagage. Outre la sincérité de l’auteur et la beauté de certains passages, à laquelle la traduction de Françoise Coüedel rend parfaitement justice, la force du récit d’Ilka provient sans doute de ce sens du détail, de la rigueur et de la retenue avec lesquelles elle restitue des scènes d’une violence qui serait sans cela insoutenable. Dès les premières pages, le lecteur est happé et accompagne Ilka dans un périple dont on ne sort pas indemne. Même pour un public averti, le récit est édifiant. Sans omettre espoirs et moments de grâce, il révèle chacune des souffrances endurées, alors que le silence ou l’ellipse prévalent souvent — constate l’auteure — en raison de l’ampleur du traumatisme vécu, la « dépression post-frontière » de ceux qui ont connu des épreuves similaires (p. 58).

3Le livre se divise en onze chapitres, autant d’étapes du chemin qui mène Ilka du Guatemala à l’Illinois. Pour parcourir une telle distance, elle voyage en avion (de Guatemala City à Mexico, puis de Mexico à Hermosillo), en bus, en taxi (pour traverser une partie du désert de Sonora), en camionnette une fois aux États-Unis. Mais les deux jours de marche dans le désert, entre Agua Prieta (Sonora) et Tucson (Arizona) constituent le point d’orgue du récit.

4Au regard d’autres centraméricains, Ilka parcourt une première partie du trajet dans des conditions privilégiées : l’accord avec les passeurs comprend la traversée du Mexique en avion. Après une nuit sans sommeil et l’émotion des adieux, elle part donc pour l’aéroport (chapitre 1). À Mexico l’attend la coyote chargée de l’accompagner jusqu’à Agua Prieta, mais aussi, d’abord, de lui apprendre à se travestir en Mexicaine. L’objectif est double : au Mexique, éviter d’être arrêtée par la police mexicaine ; une fois aux États-Unis, n’être renvoyée qu’au Mexique et non au Guatemala, si elle se faisait prendre. Pendant plusieurs jours, à Jojotla (Morelos), Ilka apprend donc « le parler mexicain » (p. 30), l’histoire et la culture populaire du pays voisin. Une fois prête, elle reprend l’avion pour Hermosillo, affublée d’un tailleur et de chaussures à talons afin de ne pas attirer l’attention, elle qui semble plus à l’aise en pantalon et jogging, en raison de son métier d’arbitre de football (chapitre 2). Le troisième chapitre est consacré à la traversée du désert de Sonora, jusqu’à Agua Prieta et la frontière. Sur la route du désert, Ilka est interrogée à sept reprises lors de contrôles policiers et témoin d’un premier viol. Une fois à Agua Prieta et après une nuit dans un hôtel fréquenté par migrants et passeurs, où elle assiste à des scènes cauchemardesques, elle est remise à une autre organisation. Les premiers kilomètres de marche se font sous les ordres du nouveau passeur, avec un groupe de 17 personnes, hommes et femmes mélangées, jusqu’à la frontière à proprement parler (chapitre 4). À la nuit tombée, profitant de dix minutes de battement pendant la relève de la patrouille frontalière des Border Patrols, des centaines de migrants de tous âges et dans des conditions physiques très inégales, s’élancent sur les trois murs de barbelés qui séparent Mexique et États-Unis (chapitre 5). Les rescapés de cette épreuve d’une violence terrible qui parviennent à passer côté étasunien ne connaissent pas de répit. Pendant plusieurs kilomètres, des dizaines de groupes de migrants s’élancent dans la nuit au pas de course. L’objectif est d’arriver à Douglas avant le lever du jour, sans être pris en embuscade par la Border Patrol (chapitre 6). Les chapitres suivants (7 et 8) relatent les rencontres que fera le groupe d’Ilka avec la patrouille frontalière, accompagnée par des meutes de chiens et parfois par des hommes en civil, armés, appartenant à des milices. Sans entrer ici dans le détail des exactions, on se contentera de souligner qu’elles sont narrées avec le champ lexical de la guerre et de la torture et que le terme de « zone de combat » par lequel Ilka désigne les scènes de ces rencontres ne paraît pas usurpé (p. 74). À la suite d’une nouvelle embuscade, le groupe pris de panique s’élance dans un ravin et le passeur, désorienté, perd la piste. Les migrants errent dans le désert pendant deux jours entiers (chapitre 9) pour atteindre Tucson (chapitre 10), au lieu de Douglas comme initialement prévu. Le chapitre 11 évoque le passage par les « maisons-entrepôts » où les femmes et les hommes sont emprisonnés jusqu’à leur « livraison » (p. 110), pendant que les passeurs font du chantage auprès des familles et obtiennent sous la menace le paiement de rançons. Ils sont enfin acheminés, allongés sur le sol de camionnettes, aux quatre coins des États-Unis.

5Au total, Ilka aura eu affaire à six coyotes appartenant à cinq organisations : ils se répartissent des tâches, des territoires, en un mot un marché, preuve d’une économie criminelle rigoureusement organisée. Ce faisant, l’expérience individuelle d’Ilka s’inscrit dans un cadre plus vaste, l’envers du décor de nos sociétés reposant sur le travail d’une main-d’œuvre maintenue en situation irrégulière, dont l’existence, autant que les souffrances pour parvenir jusque-là, sont invisibilisées.

6Au-delà de la force du témoignage et de son importance politique, le texte d’Ilka Oliva Corado est donc d’un intérêt certain pour les sciences sociales. Il gagnerait encore à être enrichi d’une carte, le témoignage de l’auteure permettant de cartographier finement les territoires, les obstacles, la durée de chaque étape, la nature des épreuves subies. Un autre apport majeur du livre réside dans ce qu’il révèle de la condition des femmes en migration irrégulière. Nul n’ignore que les femmes font l’objet de violences spécifiques lorsque la fermeture des frontières les place dans des positions de vulnérabilité si grandes. Mais au-delà des viols, tellement prévisibles que les migrantes prennent la pilule contraceptive avant le départ, Ilka raconte le traumatisme de celles et ceux qui voient sans pouvoir agir, les femmes enceintes qui bandent leur ventre pour ne pas être accusées de ralentir le groupe, et toute une série d’autres violences ou de conséquences des violences faites aux femmes. Le statut particulier d’Ilka, élevée parmi des garçons, seule femme parmi des centaines d’hommes dans son milieu professionnel, le football, et le rôle qu’elle vient à prendre au sein du groupe, appuie également une lecture de la traversée de la frontière sous l’angle du genre.

1 D’après la US Customs and Border Protection, 7219 personnes sont mortes en traversant la frontière (…)

2 Des ouvrages scientifiques permettront de mettre en perspective le témoignage d’Ilka, comme Migrati (…)

7La frontière tue1, la frontière blesse, la frontière traumatise. D’une lecture aisée, ce court ouvrage mérite d’être mis entre toutes les mains, celles des étudiants, des enseignants2, de ceux qui s’intéressent à l’Amérique latine ou aux migrations et plus largement de nous tous qui vivons dans des sociétés dont l’ordre apparent repose sur un tel soubassement de violences.

Notes

1 D’après la US Customs and Border Protection, 7219 personnes sont mortes en traversant la frontière entre le Mexique et les États-Unis entre 1998 et 2017, mais ces statistiques ne tiennent pas compte des disparus dont les corps n’ont pas été retrouvés.

2 Des ouvrages scientifiques permettront de mettre en perspective le témoignage d’Ilka, comme Migrations clandestines d’Amérique centrale vers les États-Unis d’Argán Aragon (Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2015) et Mujeres, migración centroamericana y violencia: un diagnóstico para el caso de Puebla, coordonné par Almudena Cortes et Josefina Manjarrez (Benemérita Universidad Autonoma de Puebla, 2017).

Référence papier

Anna Perraudin, « Ilka Oliva Corado, Histoire d’une sans-papiers : traversée du désert de Sonora-Arizona », Cahiers des Amériques latines, 88-89 | 2018, 175-191.

Référence électronique

Anna Perraudin, « Ilka Oliva Corado, Histoire d’une sans-papiers : traversée du désert de Sonora-Arizona », Cahiers des Amériques latines [En ligne], 88-89 | 2018, mis en ligne le 23 janvier 2019, consulté le 13 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/cal/8974

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